Michel LEIRIS
Né à Paris en 1901, Michel Leiris est à la fois poète, ethnographe, critique d'art et essayiste. L’autobiographie reste cependant comme un élément majeur de son oeuvre. Un homme au talent immense dont le nom est indissociable des grands courants de pensée qui ont traversé le XXe siècle, de l’histoire de la Littérature et des Arts, du Surréalisme et de l’Existentialisme et plus généralement qui a marqué de son empreinte deux disciplines : l’ethnologie et la sociologie.

C’est avec Max Jacob qu’il s’initie très jeune à la poésie. En 1922, il rencontre le peintre André Masson. Il adhère au mouvement surréaliste. Masson l'encourage à écrire, sa première publication “Simulacre “(1925), un recueil de poésies, est orné de lithographies de ce dernier.
Pablo Picasso & Michel Leiris
En 1926, Leiris se marie avec Louise Godon la fille de Daniel-Henry Kahnweiler, le grand marchand d'Art de cette époque bénie des dieux.
Michel Leiris collabore à La Révolution Surréaliste, objet de son écriture, le langage apparaît comme sa préoccupation majeure. Il écrit des textes surréalistes et son premier et seul roman “Aurora“ qui ne sera publié qu’en 1946.
Sa curiosité et la découverte du Jazz, le pousse à s’intéresser à L’Afrique.
En 1929, c’est la rupture avec le surréalisme, Leiris devient secrétaire de rédaction de la revue Documents dirigé par son ami Georges Bataille. Il y rencontre Marcel Griaule, professeur à l’Institut d’Ethnologie.
Griaule lui propose en même temps qu’il l’initiera sur le terrain à la recherche ethnographique, le poste de “secrétaire – archiviste“ pour la mission Dakar-Djibouti (mai1931-février 1933). Une des plus importantes missions ethnographique et linguistique française du XXe siècle.
Leiris qui tient son propre journal avec assiduité depuis 1922, accepte la proposition et s’entend avec Griaule sur le contenu du journal de l’expédition : il relatera l’expédition mais aussi le vécu personnel de son auteur. Avec une subjectivité revendiquée, attitude inhabituelle pour l'époque, l'auteur découvre l'Afrique coloniale avec ses mystères mais aussi ses bassesses.
Mission Dakar-Djibouti
Marcel Griaule et un dogon
Mali 1931
Trois études sont menées durant le parcours (sur les Dogon du Mali, les Kirdi du Cameroun et sur les environs de Gondar en Ethiopie), principalement orientées sur le totémisme, la magie et les phénomènes de possession. Lors de cette mission, des chercheurs révolutionnent leurs disciplines, c’est ainsi que qu’André Schaeffner donne sur le terrain naissance à l’ethnomusicologie.
L'un des buts principaux de cette expédition: la collecte des objets est une réussite totale. Des objets qui garnissent aujourd'hui la section africaine de la collection permanente du Musée de l'Homme, le butin de la Mission Dakar-Djibouti.
Mission Dakar-Djibouti
André Schaeffner ethnomusicologue note la musique d'un griot dogon - Mali Sanga 1931
Cette collecte d'objets s’accompagne de pratiques que Leiris dénonce, dans son journal, tout en s'y prêtant : «Le carnet d'inventaire s'emplit. Il ne nous est pas encore arrivé d'acheter à un homme ou une femme tous ses vêtements et de le laisser nu sur la route, mais cela viendra certainement». Puis vient l'épisode des vols des kono (le kono est un fétiche auquel les indigènes accordent d'immenses pouvoirs, et son vol par les membres de la Mission constituant à leurs yeux un geste hautement sacrilège, ils en seront horrifiés). Leiris dit tout sur ces vols; et s'il contribue de ses propres mains à emplir le carnet d'inventaire, il n'est pas dupe: «depuis le scandale d'hier, je perçois avec plus d'acuité l'énormité de ce que nous commettons».
A la parution de son journal d’expédition “L’Afrique Fantôme“ – un bouquin extraordinaire, et je pèse mes mots - en 1934, dans lequel pour la première fois sont étroitement associées l’autobiographie et l’ethnologie, ses pairs, les professionnels de l’ethnologie, considèrent comme une trahison la divulgation de cet aspect peu reluisant de leur travail sur le terrain. L'amitié de Leiris avec Griaule ne s’en relèvera pas. Dans sa préface de la réédition 1951, Leiris écrit : «le non-spécialiste que j'étais avait pu faire partie [de la Mission Dakar-Djibouti] en qualité de secrétaire-archiviste et d'enquêteur ethnographique grâce à M. Marcel Griaule, qui en était le chef et avec qui me liait alors une amitié à laquelle le premier coup devait être porté par la publication même de ce livre, inopportun m'opposa-t-on, et de nature à desservir les ethnographes auprès des Européens établis dans les territoires coloniaux».
Cette expédition et la publication de “L’Afrique fantôme“ marque un véritable tournant dans la vie de Leiris. L’Afrique lui donne un métier, ethnographe, qu’il exerce au Musée de l’Homme jusqu’en 1971.
Cinquante ans avant la mode anglo-saxonne de la reflexive anthropology, Michel Leiris introduit la subjectivité dans l'ethnologie; pour mieux dégonfler la baudruche de l'objectivité absolue, chère à la science officielle.
Mission Dakar-Djibouti
Schaeffner et Griaule chez les Kirdi
Cameroun 1932
Parallèlement, il n’abandonne pas une carrière, son oeuvre, de poète et de critique d’art. André Masson, Joan Miró, Wifredo Lam, Alberto Giacometti, Pablo Picasso et Francis Bacon sont quelques-uns des plasticiens auxquels il a consacré de nombreux textes. Son oeuvre autobiographique qu’il poursuit avec “L’Age d’Homme“ en 1939 trouve son apogée avec les quatre tomes de “La Règle du Jeu“. Durant 36 ans (1940 à 1976) avec “Biffures“, “Fourbis“, “Fibrilles“ et “Frêle Bruit “ nourrit par les nombreux voyages (Antilles, Chine, Cuba, Afrique) qu’il entreprend, Leiris développe cet art littéraire particulier dont il est le héraut.
C’est dans sa propre existence et sa difficulté d'être que Leiris enracine sa vision du monde. De ses rêves, du langage, de l'interprétation des mythes, il tire son inspiration. Pour cet écrivain singulier, l’objectif principal de son travail est d’être un "passeur" de culture.
Si Leiris prête une attention évidente et perspicace à sa propre existence, à son fonctionnement, il n’est pour autant pas sourd à la marche du monde qui l’entoure. Intellectuel engagé il soutient avec passion les causes qu’il croit juste. Il est l’un des premiers signataires du “Manifeste des 121“ la "Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie" publié le 6 septembre 1960.

Michel Leiris est mort en 1990, il laisse une quantité impressionnante de manuscrits dont le Journal 1922-1989 qui sera publié en 1992.
1944. Une photographie de Brassaï prise après que Picasso eut joué "El deseo pillado por la cola" Debout de gauche à droite: Jacques Lacan, Cécile Eluard, Pierre Reverdy, Louise Leiris, Pablo Picasso, Zanie de Campan, Valentine Hugo, Simone de Beauvoir, Brassaï. Assis de gauche à droite : Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Michel Leiris, Jean Aubier.
Le Merveilleux - Michel Leiris (extrait)

"C’est aux dernières limites du possible, sur les confins les plus lointains des apparences, à l’extrême pointe vers laquelle convergent toutes les directions confondues, voire même au-delà, dans cette région où ne peut plus se rencontrer que la conjecture audacieuse ou bien plutôt l’étonnement sans mesure, que s’effectue la plus profonde et la plus énigmatique peut-être des démarches que tente l’esprit de l’homme, celle par qui s’élabore secrètement le Merveilleux.

Si durant toute sa vie l’homme devait s’en tenir au connu, rester limité au petit groupe de phénomènes qu’il sait, par éducation et atavisme, relier entre eux et constituer en un réseau de relations, ce filet purement utilitaire ne pourrait manquer de devenir un piège d’ennui, une prison sans désirs dans laquelle il serait condamné à pourrir enchaîné, entre le pain noir et l’eau croupie de la logique."
Bibliographie

1925 - Simulacre
1927 - Le Point Cardinal
1934 - L'Afrique Fantôme
1939 - L'Age d'Homme
1943 - Haut Mal
1946 - Aurora
1948 - Biffures (La Règle du Jeu - I)
1955 - Fourbis (La Règle du Jeu - II)
1961 - Nuits sans nuits et quelques jours sans jour
1964 - Grande fuite de neige
1966 - Fibrilles (La Règle du Jeu - III)
1971 - André Masson, "Massacres" et autres dessins
1974 - Francis Bacon ou la vérité criante
1976 - Frêle Bruit (La Règle du Jeu - IV)
1978 - Alberto Giacometti
1980 - Au verso des images
1985 - Langage tangage
1987 - Francis Bacon
1988 - Cinq études d'ethnologie
1988 - A cor et à cri
1989 - Bacon le hors-la-loi
1992 - Zébrage
1992 - Journal 1922-1989
1994 - Journal de Chine